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1838, plan de la prison de Montréal (CA)
Les prisonniers sont les locataires forcés d'une construction dont ils ne peuvent sortir. Le conditionnement d'une société par l'espace architectural s'y exprime donc très clairement. Paradoxalement, la prison est peut-être le seul projet où l'architecte n'a aucune idée de la manière dont le lieu sera vécu. La sanction juridique punitive – privation de liberté – «Â indique de quoi le condamné sera exclu, mais n'indique pas dans quoi il sera inclus »[33]. Alors qu'il s'agit très clairement de le placer dans une société isolée, aucun projet n'imagine cette nouvelle vie sociale. La plupart du temps, l'architecte reçoit uniquement des consignes concernant le nombre de cellules à prévoir et les normes de sécurité à respecter.
La prison idéale combinant efficacité et économie est l'emprisonnement individuel dans un établissement de capacité importante. En effet, même si la cellule individuelle est plus chère, elle nécessite moins de surveillance (sauf en ce qui concerne le suicide) et permet d'assurer l'exercice maximal du pouvoir sur un individu isolé de toute autre influence.
Sans véritable projet pour la guider, l'architecture carcérale évolue très peu. La conception des prisons apparaît «Â comme un processus répétitif, une inertie historique » [27]. On peut définir la grande majorité de ces constructions par quelques caractéristiques. Il s'agit d'un bâtiment unique au plan centré pour permettre une grande visibilité (inspiré du Panoptique de Bentam). Chaque espace de vie est conçu comme une prison (chambre, salle de classe, salle de sport, bibliothèque, lieu de culte, travail, loisirs, parloirs...). Aucune activité n'est possible en dehors de ces espaces. Le réseau de circulation qui relie ces différentes cellules est interne. La population n'y fait que passer sous le contrôle du personnel et du système de sécurité. Les habitants et le personnel ne partagent pas les mêmes espaces.
Le rythme de vie est imposé aux condamnés qui sont totalement infantilisés. La population n'est plus responsable de rien, n'assume plus rien. Tout est prévu et organisé pour eux. Les problématiques se réduisent à la surveillance et à la gestion des flux, et parallèlement à l'amélioration du confort des cellules.
La sécurité exige de bloquer les libertés de circulations. Idéalement il faut que la sécurité devienne naturelle et non plus contraignante. C'est ainsi que la société carcérale se construit par défaut, officieusement. Les citoyens ne veulent pas savoir ce qui advient de leurs condamnés. Leur existence est réduite à un statut administratif. Leur vie en prison est «Â dénuée de toute réalité officielle »[09].
L'augmentation disproportionnée de l'effectif carcéral par rapport à la criminalité découle d'un changement de politique pénale depuis quelques dizaines d'années. Le crime est ce que nous décidons qu'il est. L'enfermement n'est plus tant organisé pour la transformation et la réinsertion de l'individu que pour la gestion des populations déviantes, le contrôle des pauvres et des personnes considérées comme à problème [30]. Bref, la population à laquelle la société n'a pas pu donner de place (alors que les populations défavorisées avaient souvent un rôle important à jouer dans le fonctionnement des sociétés traditionnelles, la délocalisation moderne leur ôte petit à petit toute utilité). Depuis une vingtaine d'années, nous enfermons aussi les étrangers non désirés. Les systèmes de surveillance se sont propagés dans l'espace publique. Nous voulons atteindre la stabilité totale, le risque zéro.