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Prison de Halden (AU)
Parallèlement à la construction de prisons modernes extrêmement sécurisées et déshumanisées (voir l'exemple type de Supermax aux USA [06] ou de la prison de Lelystad en Hollande), des projets se développent pour rendre les prisons plus vivables.
Il s'agit de permettre l'existence d'une vie sociale qui ne soit pas qu'une attente et donc de créer une certaine autonomie intra-muros : espaces communs, trajets à l'air libre, zones vertes, chambres conjugales, facilité d'accès aux formations, à internet, etc. Il s'agit aussi de faire entrer dans les prisons le maximum de personnel qualifié et diversifié [30] pour permettre un suivi hautement personnalisé des détenus. Il est remarquable que le personnel qui n'a pas uniquement la fonction de surveiller le prisonnier (le surveillant) a des contacts bien plus faciles avec lui. La prison norvégienne de Halden va jusqu'à proscrire le port d'arme à une grande partie du personnel afin de pouvoir instaurer une atmosphère de confiance qui soit plus détendue.
Les effets positifs de ces méthodes ont été prouvés, mais elles sont coûteuses et très peu d'établissements osent les mettre en place. La grande majorité des prisons modernes sont axées sur la sécurité et non sur la réinsertion et la formation. De plus, il est toujours extrêmement difficile de faire la part entre le discours et la réalité en ce qui concerne les prisons. Les informations auxquelles on a accès sont très souvent celles que l'administration pénitentiaire a bien voulu communiquer ou des statistiques générales qui ne peuvent témoigner de la réalité du lieu vécu au quotidien.
Dans la société du marketing qui est la nôtre, il n'est pas étonnant de trouver des exemples de prisons design. J'appelle prisons design des établissement pénitentiaire dont l'aspect formel est agréable à la vue (couleurs, matériaux, formes...). Elles présentent un effort de recherche esthétique, et il arrive souvent que des artistes interviennent dans le processus. Si ces collaborations naissent parfois d'un réel projet de donner du sens à l'espace, nombreuses sont celles qui se contentent d'enjoliver des architectures invivables (les prisonniers français ont le mauvais goût de se suicider autant voire plus dans les nouvelles prisons design). A noter les exemples de Loeben en Autriche par Hohensinn Architektur, de Halden en Norvège par HLM Arkitektur, la maison d'arrêt de St-Denis (Réunion) par Architecture Studio.
«Â L'architecture d'une prison, c'est ce derrière quoi le pouvoir disparaît » (Foucault) [14]. Le temps de l'exposition publique des souffrances des condamnés est révolu. Il a été remplacé par celui de la peine juste et efficace de la privation de liberté. Aujourd'hui en Europe, les détenus ne sont plus visibles derrière leurs barreaux, leurs cris de prisonniers ne sont plus audibles. Ils sont dissimulés derrière de hauts murs propres et rassurants, enveloppés d'un mystère qu'il est difficile de percer. Bref, ils ont totalement disparu de la société.
«Â Anti-mondes discrets »[27], les établissements pénitentiaires se sont progressivement déplacés des centres-villes aux banlieues. Abandonnant une localisation pratique au profit d'une mise à l'écart. Aujourd'hui, on voudrait même faire courir la rumeur comme quoi on vivrait mieux dedans que dehors. Les images diffusées sur internet nous montrent des cours aménagées à la japonaise ou des cellules rose bonbon, ces attentions ayant la vertu d'offrir un environnement plus serein aux détenus.
Que l'on donne raison ou non aux études comportementales et aux intuitions des architectes qui poussent à enjoliver l'espace carcéral en faveur du bien-être (et de la docilité) des détenus, une autre considération plus générale s'impose. Que dire en effet d'une société où le pouvoir répressif est représenté par une élégante façade de verre, des plafonds décorés de smiley et un mobilier design aux couleurs acidulées ?