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La King Abdullah Economic City (KAEC) se construit de toute pièce au nord de Djeddah, en Arabie Saoudite. Elle a été planifiée avec l'aide de Ericsson. C'est une ville dynamique qui évolue en ajustant son développement sur le marché. L'expansion de KAEC répond exactement à la demande, «Â son succès est donc garanti » [19].
La ville offre à sa population un réseau de fibres optiques, la téléphonie IP, les films à la demande, la télévision personnalisée, l'internet ultra-rapide, les services de transmission de données, etc.
Elle doit comporter essentiellement quatre zones : un vaste espace commercial, une immense zone industrielle, un campus regroupant écoles, universités et centres de recherche et une zone résidentielle. Mais son attrait vient avant tout du système de réseau qui la parcourt et qui relie ses utilisateurs au reste du monde.
La notion de ville s'est vidée et diluée : elle ne désigne plus un territoire physique. Nous sommes à l'ère de la réalité augmentée. Grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (TIC), la ville est devenue un décor qui s'adapte quasi instantanément au profil de ses clients. «Â L'informatique, les arts graphiques et le design ont supplanté l'architecture » [32].
Pour rendre une ville intelligente, il faut récolter à chaque instant le maximum d'informations qui la concernent (habitants, déplacements, flux bancaires...). Elle est moulée par des réseaux de statistiques. La vie peut alors se conformer de plus en plus à nos désirs. Elle devient plus agréable, plus légère. C'est moi qui la classifie, la sélectionne, la produis. La connexion accessible en permanence permet de mieux gérer mon emploi du temps moderne : «Â vivre séparé-ensemble » [04] avec tout, quasi simultanément.
En outre, l'optimisation constante des flux permet de résoudre des problèmes plus généraux d'écologie. La promesse est de rendre le niveau de vie de chacun plus élevé et de préserver l'environnement de tous.
Les divisions spatio-temporelles (proche-lointain, virtuel-réel, matériel-immatériel...) se sont unies, non pas dans une violente contradiction, mais dans une équivalence indifférente des opposés. Cela inaugure la perte du sens, la destruction des valeurs, de l'identité, du réel par rapport à un contexte, par rapport au monde. Destruction de toute situation, de toute circonstance. Tout se développe en soi, pour soi, pour chacun, partout, selon ses propres règles, sans frontière et sans interférence.
Les données naissent et meurent rapidement, poussant sans racine, s'accumulant indifféremment et créant ainsi une table rase aveuglante et infinie. Le cybermonde subsiste sans exister, «Â il propage l'espace » [32]. Toute la vie sociale traditionnelle y est simulée (sortir, discuter, travailler, apprendre, acheter, s'informer...). Il crée un réseau, transmet, abolit les caractéristiques spatio-temporelles, se passe de référence. Ce faisant, il permet aux utilisateurs, de se libérer de ces références, du dehors, du possible.
Malgré son caractère profondément démocratique et communautaire, la ville intelligente s'adresse à ses clients. Elle se plie à eux, mais ne tient absolument pas compte de ceux qui n'entrent pas dans ses statistiques : les classes défavorisées. Ne faisant pas partie du nouvel espace augmenté, les quartiers pauvres risquent d'être peu à peu délaissés, comme c'est déjà le cas aux Etats-Unis [07]. Leurs habitants seront contraints à une immobilité fulgurante n'ayant plus d'accès à la plupart des services publics intelligents.